dimanche 1 janvier 2017

Cap Negret ou le Sauvage Dompté

   Il y a, en vérité, des endroits où l'on peut trouver des choses curieuses, rares où que nous n'attendions pas. Parfois, c'est le fait de connaître l'histoire de ces choses qui les rend spéciales, et le fait de l'ignorer ce qui les fait passer inaperçues. Les hasards de la nature se mélangent avec ceux de l'histoire des hommes et des femmes afin de nous laisser, un peu partout, des petits monuments.

    Aujourd'hui on voyage donc à un intéressant recoin. Après avoir traversé Altea direction nord et pas loin de la ville, nous arrivons à Cap Negret. L'accident géographique dont il porte le nom est la première rareté sur laquelle on tombe: dans une zone où la roche calcaire prédomine, apparaît ce cap en pierre noire basaltique, le dos fendu par le milieu, à cause de l'extraction de ce matériau depuis la nuit des temps, mais très spécialement dans les années 30 du siècle dernier.


   À présent cet endroit ne semble pas accessible, puisque il y a une maison bâtie et les accès sont clôturés. Et pourtant, si l'on fait un excercice de reconstruction mental du paysage, on pourra imaginer la taille du promontoire. La pierre noire de ce cap appartient à un affleurement volcanique qui a eu lieu à l'ère géologique où tous les continents étaient unis en un seul, Pangée, et qui a causé ainsi sa rupture... À cet endroit on a aussi trouvé les vestiges d'un établissement ibérique, peuple qui, d'ici, faisait le commerce avec d'autres ports de la Méditerranée. Aujourd'hui cet établissement a complètement disparu.

Les roches basaltiques en question

   Vers le côté nord du cap, et après avoir passé devant un petit port, le trait de côte continue avec une zone de plages fossiles, où on peut voir les classiques galets "collés" aux grains de sable qui ont fini par devenir des grandes roches et qui nous ont laisse des curieuses silhouetes après avoir subi l'érosion des vagues.


   Et c'était tout justement la force de la mer qui a creusé une grotte dans cette plage et que l'imagination populaire (ou les faits historiques) a fait appeller "la cova del frare" (la grotte du frère), et qu'on ne trouvera plus jamais à cause des travaux de viabilisation de la N-332, qui passe à quelques mètres d'ici. Autrefois, il a existé à Altea un voisin qu'on nommait ainsi, "el Frare", parce que quand il était enfant il a souffert une dangereuse maladie (bon, la variole, qui à ces temps-là, était très dangereuse) et sa mère l'a confié à la protection de Saint François en faisant promesse que, si l'enfant guérissait, elle l'habillerait avec l'habit de l'ordre des franciscains. Et voilà: le petit a guéri, il a été habillé en moine pendant deux ans et il s'est gagné pour toujours le surnom de "el Frare". Il grandit et il tomba amoureux; et, tel qu'il arrive parfois dans ces cas-là, la fille, au lieu de lui correspondre, tomba amoureuse de son frère (du frère du frère, compliqué ein?). Une nuit d'orage les deux frères sont allés pêcher (drôle d'idée). Ils se sont disputés. El Frare blessa son frère, qui tomba à la mer. En croyant qu'il l'avait tué, il se jetta aussi dans la mer, et ce n'était que le lendemain que l'on a trouvé son corps qui flottait à l'intérieur de la grotte. Jusqu'à une date récente, les pêcheurs d'Altea disaient qu'au retour du travail, le soir, il leur apparaissait un gamin habillé en moine qui étendait les bras vers eux...

   D'après cette histoire populaire, le lieu où les frères se trouvaient au moment de la dispute était la Illeta (l'îlot) que nous pouvons contempler devant la plage de la Olla.


   À quelques 400 mètres de la plage, on a trouvé sur cet îlot des vestiges archéologiques qui pourraient attester l'usage de cet endroit en tant que base commerciale (exportation et importation de produits), avec des trouvailles de large datation chronologique, c'est-à-dire, depuis le I a. C. (époque romaine) jusqu'au XIII (Moyen Âge). Aujourd'hui il est très fréquenté par les navigateurs et les nageurs. Anecdote: selon les coordonnées terrestres, cet îlot est placé presque sur le méridien de Greenwich.
   Par rapport aux infrastructures (magasins et port, tout court) pouvant avoir existé ici, il faut aussi rappeler que dans l'Antiquité, la Via Dianium, voie secondaire se dégageant de la Voie Auguste, passait par ici et unissait Dianium (Denia) avec Lucentum (Alicante) du côté de la mer. Aujourd'hui, ces vestiges ont été complètement ruinés dans ce tronçon.
   Mais peut-être, la chose la plus terrifiante qu'on peut trouver le long de notre expédition, ce sont les nids de mitralleuses bâtis pendant la Guerre Civile (1936 - 1939). La prise des Îles Baleares par les troupes de Franco a fait craindre une attaque venant de ce front (l'est péninsulaire était au début de la guerre l'arrière-garde de la faction républicaine), et on est arrivé a faire cinq constructions de ce type-là. Aujourd'hui, seulement deux y sont visibles, et les autres ont été mangées par la mer.


   Il est vraiement probable qu'ils n'aient pas été utilisés. Leur plan circulaire et ses ouvertures rectangulaires sont très intéressants.
    Dans l'ensemble, il s'agit d'un endroit très tranquille et agréable, fréquenté déjà depuis la fin du XIX siècle par des artistes de tout type. Il est vrai que les alentours sont suggestifs et inspirateurs, et pendant notre promenade nous croisserons çà et là avec des peintres assis devant leurs chevalets.
   Quelque chose a du charmer le chanteur d'opéra Sagi Barba, né à la fin du XIX, et sa femme, Luisa Vela, qui ont décidé de bâtir ici leur villa qu'ils allaient habiter pendant des longues années. Beaucoup des détails de l'intérieur de l'immeuble ont été dessinés par un ami de la famille, A. Gaudí. Même si aujourd'hui le bâtiment a été divisé dans des différents appartements, la façade extérieure demeure inaltérée.


    Et en fin, la promenade par les ruelles donnant accès au petit port de plaisance, constituent en elles seules un monde à part.


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