dimanche 1 janvier 2017

"Le lieu trouvé": le Polop de Gabriel Miró

“Nos pieds obéissent aux traces d'autres hommes et assurent le sentier de ceux qui viendront"


Il est abrité par la joie de posséder en vérité ce village auquel on pense toujours quand on raconte un conte. « …Il était une fois un petit village… »


   Si on devait tracer une route littéraire suivant le parcours de l'écrivain Gabriel Miró, nous pourrions errer pendant des journées, comme il le faisait, à travers les montagnes de La Marina. Sa dernière oeuvre, Años y leguas (Des années et des lieues, publiée en 1928), fut écrite le long d'un séjour dans sa maison d'été à Polop et elle ne raconte aucune histoire, ou plutôt elle en raconte plusieures. L'écrivain d'Alicante s'abandonne au trance mystique qui se traduit en l'exaltation lyrique d'un paysage qui innonde tout, un paysage absolu et atemporel. Avec des mots, il peint pour nous les montagnes, les maisons du village, l'eau qui jaillit des pierres, les gens qui vont et viennent avec ses anecdotes et ses tragédies. Il est un peintre en prose... ou un poète du paysage.

   Son séjour à Polop n'est pas fortuit. Il y arrive pour la première fois encore enfant, avec son père, qui est ingénieur des ponts et chaussées et qui, à cette époque-là (début du XXème siècle) travaillait dans la route qui unit Callosa d'en Sarrià avec Alcoy (obéissant d'ailleurs les traces d'autres hommes).

    On a même dit que Polop, c'était Miró qui l'a inventé, et qu'aujourd'hui le village n'est plus à flanc du mont Ponoig, mais aux pieds du Lion Endormi, et que le calvaire ne finit pas dans le vieux cimetière, mais dans le Jardin de Croix.

  À l'entrée du village, le premier point d'arrêt est la Font dels Xorros (la Fontaine des Jets). Avec ses 221 tuyaux, elle est l'un des symboles de la commune. Grâce à l'abondance du liquide précieux dans une zone où la pluie est très rare, Polop a joué un rôle très important dans l'histoire de la région; tel fut le cas de la création du Rec Major (le canal d'irrigation majeur ou principal), qui fut la véritable impulsion du processus de croissance économique et démographique des villes des alentours, telles que La Nucia, Alfaz del Pi ou Benidorm. Le canal était fini en 1666 et sans lui, les chemins de l'histoire auraient été, à coup sûr, très différents. 


"Qui a ramassé l'eau entre ses bras comme une tunique? Uniquement Dieu"

   Des sources et des fontaines apparaissent partout à Polop; c'est le village de l'eau, l'endroit où les gens viennent des autres villages remplir ses bidons, "l'eau nouveau-née, qu'il faut arracher avec la cruche des profondeurs de l'origine, pousse encore avec le relent dur de la pierre, elle arrive sans soleil, sans ciel, sans des champs au-dessus et à l'intérieur; de l'eau incisive et nue; de l'eau de roche... Qui la ramassera et la tordera comme un drap précieux!
   Dieu."


   On s'enfonce dans des ruelles en pente et on commence l'ascension entre des places et des maisons nobiliaires. Car Polop a été pendant des siècles à la tête d'une baronnie qui portait ce même nom et la ville depuis laquelle on gouvernait un ample territoire.
















   Et nous arrivons au calvaire, qui dessine un chemin en zigzag jusqu'en haut de la colline où se trouve le Jardin de Croix. L'air propre de cet endroit a très peu à voir avec ce que Miró a vu il y a presque cent ans:

"Sigüenza monte par la pente du cimetière, déblayée d'ordures. Les niches du chemin de croix se sont effondrées sur des bouillies et des croûtes de dépotoir qui frémissent sous des grosses mouches. Le masque d'une mâchoire de bouc se décharne en riant; ses cornes pourris tremblent de fourmies."
   Le vieux cimetière, qui autrefois était un cimetière tout simplement, fut bâti sur les vestiges d'un château musulman. Ici eurent lieu quelques uns des évènements les plus tristes et sanglants de notre histoire, comme le massacre de plus de 800 maures qui s'étaient refugiés dans la forteresse afin d'échapper à la révolte des "agermanados", en 1521. Ceux-ci leur firent promesse de sauver leur vie s'ils acceptaient de se convertir au christianisme. Ils acceptèrent et, à mesure qu'ils sortaient du château, ils étaient baptisés pour être, tout de suite, égorgés.

   "C'est vrai. Ils ont leurs morts au-dessus; mais la mort, la mort est au-délà de l'horizon de nos pensées et de nos yeux."


    Mais peu nous reste de ce château: une citerne, les vestiges subtils d'une tour et quelques pans de mur. Tout le reste fut démonté et profité pour des nouveaux bâtiments, et très spécialement pour la création de l'ermitage de la Divine Aurore.


   Nous finirons avec une bonne nouvelle: la mairie est en train de mettre la dernière main aux détailles d'un musée dédié à Gabriel Miró, juste à côté de la Font dels Xorros, où nous pourrons connaître en profondeur le rapport de l'écrivain avec le village de Polop.


Musée de Gabriel Miró
  Et nous partirons de Polop, le goût d'une eau de "vérité chimique" à la bouche, et nous espérons être certains d'avoir été devant "le lieu trouvé":

    "Je viens de découvrir un endroit délicieux, endormi parmi les années. C'était sans le vouloir, comme certains grands hommes découvrent précisément ce qu'ils ne s'attendaient pas à découvrir; mais, en le découvrant, ils ressentent une joie légitime d'avoir mis dans le mille avec toute sa volonté illuminée. C'est ainsi que je suis tombé juste par la grâce de la révélation. Cette grâce ne se reçoit pas sans la faculté de sentir et de profiter de ses effets, et c'est alors que le découvert nous appartient si clairement que nous pouvons bien dire qu'il a été crée de toute notre conscience..."

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